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Jean Albert Richard


Premium (World), Runkel

In memoriam (2)

L'auteur m'a gentiment dédicacé son livre. C'est une histoire en fait assez compliquée, et un peu tirée par les cheveux.
Un de mes amis cyclistes né en 1936 avait donc huit ans à l'époque, et on peut seulement se représenter ce que signifiait pour un enfant de cet âge-là la simple nouvelle de l'arrivée des Alliés pour libérer la France et l'Europe, avant même de connaître la suite des évènements. Pour moi, c'est de l'Histoire proche, mais qui s'est déroulée trois ans avant mon ère...
Avec mon ami, nous avons participé ensemble aux 24 heures cyclistes de Levallois en 1964, pour le vingtième anniversaire du débarquement, et pour la circonstance l'épreuve avait été tricotée de sorte que nous passions à Ouistreham vers la mi-parcours. Mon ami n'a jamais manqué une cérémonie du 6 juin à Arromanches ou autre part, et il m'a dit un jour: "J'ai fait connaissance avec un anicen fusilier marin commando qui habite près de chez toi, il s'appelle Chauvet..."
"Je vois!", lui ai-je répondu, le nom me disait quelque chose, mais je ne le connaissais que "fugitivement", et on va voir pourquoi.
En fait, il avait un atelier ou une petite entreprise dans le passage des Récollets, non loin de chez moi, et quand nous revenions du lycée avec un camarade, nous sonnions à sa porte, Bien sûr, quand il venait ouvrir, nous étions déjà loin... Un jour, les choses se passèrent différemment. Nous ne savions pas que l'immeuble possédait une autre entrée, et tandis que nous étions en train de nous éloigner comme d'habitude en petite foulée, nous avons vu surgir subitement presque à notre hauteur une personne mûre néanmoins nantie d'une bonne vitesse de base témoin d'une condition physique très acceptable pour son âge, mais depuis 1944 quelques années s'étaient écoulées... Nous n'avons dû notre salut qu'au fait que nous avons immédiatement passé la surmultipliée...
Il s'en est fallu de très peu, mais la première manche était pour nous.
Bien sûr, nous n'étions pas satisfaits pour autant: quiconque a quelque peu l'esprit compétitif ne me contredira pas si je dis que tout ce qui ne ressemble pas à un triomphe n'est rien d'autre qu'un demi-échec.
Le lendemain, nous avons donc récidivé, mais en repartant en sens inverse: lui avait dû calculer où il pouvait encore gagner quelques dizièmes de secondes sur sa prestation de la veille, et quand il est sorti et n'a vu personne devant lui, il s'est retourné. Nous étions un peu plus loin mais de l'autre côté, et avions depuis longtemps cessé de courir. Il a très bien compris pourquoi, toute poursuite aurait été vaine, et la deuxième manche était également perdue: une personne avec un tel passé peut très rapidement additionner deux et deux. Il ne s'est en rien énervé, et rentra simplement chez lui. Il a au moins obtenu quelque chose: nous n'avons plus jamais sonné à sa porte...
Ce n'est donc que bien des années plus tard que j'ai appris qui c'était. Comme j'ai raconté ce qui précède à mon ami cycliste, il l'a naturellement colporté, mais trente ans après ou plus, la chose était prescrite et n'avait plus que valeur d'anecdote parisienne.

Voie de la Liberté
Voie de la Liberté
Jean Albert Richard


In memoriam (1)
In memoriam (1)
Jean Albert Richard

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